Le local content ou contenu local dans le secteur minier en Afrique pose le problème de la dialectique entre l’optimisation de la valeur ajoutée nationale à l’économie locale et les résultats financiers issus du secteur minier. Figure marquante du droit des ressources extractives, le local content, en particulier, son efficacité, est au cœur de toutes les attentions. Face à ces enjeux, les États comme les organismes internationaux ne cessent de développer des outils approfondis d’évaluation du local content[1]. Aujourd’hui, le local content est incontournable dans les discours sur les ressources extractives, en général, et les ressources minières, en particulier.
Bien qu’il n’y ait pas de définition unique, la plupart des définitions du contenu local se concentrent sur l’approvisionnement, le développement de la main-d’œuvre et le renforcement des capacités au niveau communautaire, étatique et national. C’est ainsi que pour Damilola S. Olawuyi, le local content regroupe « des dispositions contractuelles, des lois et des politiques qui exigent des entreprises extractives qu’elles donnent la priorité aux nationaux, aux communautés autochtones, aux entreprises nationales et aux matériaux produits localement, dans l’achat de biens et de services utilisés pour les opérations pétrolières et minières »[2]. Il s’agit là de l’une des merveilles du droit des ressources extractives qui veut que l’activité minière ou pétrolière profite énormément au pays concerné par ladite activité.
Cette définition permet d’exclure du local content, les entreprises de droit national créées conformément à l’Acte Uniforme relatif au droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique (AUSCGIE). Au fait, selon ce texte, une société créée en application dudit acte et enregistrée au Registre du Commerce et du Crédit Immobilier (RCCM), sans aucune autre exigence liée soit à la participation des nationaux dans le capital soit en détenant le contrôle de l’entreprise, peut être considérée comme une entreprise locale en Côte d’Ivoire[3]. Avec cette approche, l’on s’éloigne de la conception traditionnelle du local content qui vise à encourager les « traitements de faveur à l’égard des fournisseurs locaux, contre les fournisseurs de biens et de services étrangers »[4].C’est en ce sens que s’oriente le code minier du Mali de 2019 qui définit le local content comme « l’ensemble des activités axées sur le développement des capacités locales, l’utilisation des ressources humaines et matérielles locales, le transfert des technologies, la sous-traitance des entreprises, des services et produits locaux et la création de valeurs additionnelles mesurables à l’économie locale »[5].
L’intérêt d’un tel sujet se trouve dans la prise de conscience collective des États africains de la nécessité de concilier résultats financiers et développement humain. Cela est perceptible avec la Directive C/DIR 3/05/09 en date du 27 mai 2009 portant sur l’harmonisation des principes directeurs et des politiques dans le secteur minier de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).Dans son préambule, les États de la CEDEAO affirment ceci : « conscient que l’exploitation minière et la transformation sur place en produits finis sont essentielles pour le développement socio-économique des États membres, que les avantages obtenus de ces activités doivent être partagés et sauvegardés pour les générations présentes et futures »[6].Il s’ensuit que le local content peut être considéré comme un vecteur de croissance et d’attractivité économique. Cependant, il pose des problèmes dans son opérationnalisation.
Parfois, certaines contributions au développement local relèvent plus du caritatif que de la contribution au développement économique durable. De plus, certaines économies envisagées, en recourant au tissu industriel local, sont abandonnées faute d’un accompagnement approprié des PME de la région, incapables de se mettre au niveau demandé par un donneur d’ordre trop intransigeant sur le respect de ses standards internationaux. Par ailleurs, l’augmentation de la valeur ajoutée est complexe à mettre en place et demande du temps. Mais elle est clairement possible, quand une réflexion de fond a été entamée pour aligner les intérêts des communautés avoisinantes, en prenant en compte leur environnement, et ceux de l’entreprise, dans son univers concurrentiel et avec ses équilibres financiers parfois compliqués[7].
Dans ces conditions, quelles réflexions peut-on opérer sur le local content afin de le rendre plus profitable pour les États africains ? S’il est vrai que le local content a des frontières clairement définies, il a besoin d’être amélioré pour une plus grande efficacité.
Un local content aux frontières clairement définies
Les politiques de local content couvrent un large éventail d’approches, allant d’objectifs obligatoires à des exigences plus souples, en passant par des politiques de soutien dans des domaines tels que l’éducation et le renforcement des capacités[8].En partant de cet exemple, on peut bien observer que, dans les États africains, le local content se présente non seulement comme un ensemble de clauses de préférence nationale, mais aussi comme une source de diverses obligations.
Un ensemble de clauses de préférence nationale
Le local content est, en réalité, une préférence accordée à tout ce qui est local. Cela se vérifie avec la préférence accordée, d’une part, aux travailleurs locaux et, d’autre part, aux entreprises locales s’agissant de la prestation de service, des biens et équipements fabriqués.
Tout d’abord, les codes miniers imposent aux titulaires de titres miniers ainsi qu’aux sous-traitants de privilégier les travailleurs locaux. Allant en ce sens, le législateur ivoirien affirme que : « Le titulaire d’un titre ou le bénéficiaire d’une autorisation d’exploitation ainsi que ses sous-traitants doivent employer en priorité du personnel de nationalité ivoirienne pour les nécessités de leurs opérations »[9]. Le législateur burkinabè s’oriente dans le même sens avec plus de netteté. La loi minière de 2015 dispose, à cet effet, que : « les titulaires des titres miniers (…) leurs fournisseurs et leurs sous sous-traitants emploient en priorité, à des qualifications égales et sans distinction de sexes, des cadres burkinabè ayant les compétences requises pour la conduite efficace des opérations minières »[10].
De plus, lorsque le titulaire d’un titre minier veut procéder à de la sous-traitance, il doit accorder la préférence aux entreprises nationales. Il en va ainsi de la loi minière ivoirienne précitée qui énonce que « Le titulaire d’un titre ou le bénéficiaire d’une autorisation d’exploitation peut, sous sa responsabilité, sous-traiter à des entreprises qualifiées, des opérations minières dont il a la charge. Il doit accorder la préférence aux entreprises ivoiriennes, à conditions équivalentes de qualité, de prix et de quantités»[11]. C’est aussi le cas avec les codes miniers du Libéria[12], du Sénégal[13] ou encore de la Tanzanie[14].
Dans un autre sens, la préférence nationale s’entend également d’une préférence pour les entreprises locales en matière de la prestation de service, des biens et équipements fabriqués. On retrouve cela avec le Code minier ivoirien qui prévoit que « Le titulaire d’un titre ou le bénéficiaire d’une autorisation d’exploitation ainsi que ses sous-traitants doivent accorder la préférence aux entreprises ivoiriennes pour les contrats de construction, de fourniture et de prestations de services, à conditions équivalentes de qualité, prix, quantités »[15].Il en va de même avec la loi minière du Kenya[16], du Mali[17], du Burundi[18], de l’Angola[19], de l’Égypte, de l’Afrique du Sud[20], etc.
En générale, tandis que certaines législations font référence de manière expresse à la notion de préférence comme c’est le cas du Kenya ou du Nigéria, d’autres y font référence de manière implicite comme c’est le cas en Côte d’Ivoire. Cependant, cette obligation de prioriser le personnel local est soumis à la condition selon laquelle le demandeur remplisse toutes les exigences requises pour effectuer le travail voulu par la société minière. Ainsi, une personne nationalité kenyane peut se voir refuser un emploi au Kenya, par une société minière, au profit d’un camerounais lorsque ce dernier respecte les conditions exigées pour effectuer le travail considéré. Pour pallier à ce qu’on pourrait qualifier de limite au local content, les législateurs ont vu dans le local content la traduction d’une réalité : celle d’être source de diverses obligations.
Une source de diverses obligations
Le local content est une source de diverses obligations mises à la charge du titulaire du titre minier. Sur cette question, deux obligations retiendront notre attention. Il s’agit, d’abord, de la formation, ensuite, de la contribution financière.
Premièrement, le titulaire d’un titre minier doit établir et financer un programme de formation de personnel national identifié, de toutes qualifications, pour ses besoins. En clair, le local content exige que les titulaires de titre miniers mettent tout en œuvre afin d’avoir, au plan local et national, un personnel qualifié à court, moyen et long terme. Les législations minières en Afrique vont dans ce sens.
C’est le cas du code minier de l’Angola qui prescrit que les titulaires de droits miniers doivent assurer l’emploi et la formation de techniciens et d’ouvriers angolais, de préférence ceux résidant dans les zones de concession minière[21]. Dans le code minier de l’Algérie, par exemple, il est prévu que : « les titulaires de titres miniers sont tenus d’accueillir des élèves ingénieurs stagiaires dans les spécialités minières et autres, selon des calendriers conclus avec les Universités, Écoles et Instituts de formation des cadres »[22]. Le Nigéria va plus loin en incluant, dans le plan de formation, la mise à la disposition des communautés autochtones des bourses d’études[23]. Enfin, dans certains États comme le Libéria, cette obligation est assimilée à un transfert de technologie vers les libériens[24].
Deuxièmement, il arrive que le local content mette à la charge de l’exploitant minier une contribution financière pour des activités précises telles que l’éducation, la santé ou d’autres services communautaires, les routes, l’eau et l’électricité, etc. Ainsi en Côte d’Ivoire, le code minier de 2014 prescrit que « Le titulaire du permis d’exploitation est tenu de contribuer au financement du renforcement des capacités des agents de l’Administration minière et à la formation des ingénieurs miniers et géologues ivoiriens »[25]. On retrouve la même idée avec le Code de la République Démocratique du Congo (RDC)[26] ou encore du Cameroun[27].
De ce qui précède, on peut objectiver que tout est fait pour que le local content fonctionne de manière optimale. Toutefois, il reste soumis à certaines contraintes majeures. Le local content est donc à améliorer pour une plus grande efficacité.
Un local content à améliorer pour une plus grande efficacité
« Le droit a vocation à évoluer dans le temps et dans l’espace. Ce caractère contingent de la règle de droit contribue à sa perfectibilité »[28]. Cette évolution est perceptible également dans le cadre du local content. Au fait, pour maximiser les liens de développement, deux actions sont souhaitables. D’une part, l’élaboration des dispositifs fiscaux en faveur des entreprises locales et, d’autre part, l’obligation générale de fixer des quotas.
L’élaboration des dispositifs fiscaux en faveur des entreprises locales
L’élaboration de textes fiscaux en faveur des entreprises locales serait d’un apport inestimable dans la volonté de redonner au local content sa vertu. Plus précisément, certaines exonérations sur les importations défavorisent le recours aux entreprises locales.
En Côte d’Ivoire, par exemple, le code minier de 2014 prévoit que les matériels, matériaux, machines, équipements inclus dans le programme agréé destinés de manière spécifique et définitive aux opérations de recherche minière et nécessaires à la réalisation du programme de recherche, importés par le titulaire du permis de recherche et ses sous-traitants agréés par l’administration des mines, sont exonérés de droits de douanes, y compris la taxe sur la valeur ajoutée. L’exonération à l’importation s’étend également aux parties et pièces détachées destinées aux machines et équipements de recherche[29]. On retrouve la même idée avec la loi minière du Mali de 2019[30].
De même, pendant la phase de réalisation des investissements initiaux et l’extension des capacités de production d’une mine existante, le titulaire d’un permis d’exploitation est exonéré des droits de douanes, y compris la TVA, perçus à l’importation des matériels, matériaux, machines et équipements ainsi que des pièces détachées inclus dans le programme agréé et destinés directement et définitivement aux opérations minières[31].
Même s’il existe une limite à cette exonération[32], cette possibilité offerte à la société minière limite le local content. La suppression de ces exonérations sur les importations inciterait les entreprises à plus se tourner, au niveau de l’approvisionnement, vers les sociétés nationales. Maintenir les choses en l’état, c’est poser indirectement des obstacles au recours à l’approvisionnement local. En effet, étant donné que les importations sont exonérées, il est alors moins couteux, pour une société minière, d’acheter à l’étranger. Cela est d’autant plus vrai dans la mesure où cette dernière économise les taxes à payer et autres coûts supplémentaires sur le produit acheté. Il ne fait aucun doute que les codes miniers doivent, pour attirer les investisseurs, prévoir des périodes d’allègement et/ou d’exonérations fiscales. Mais, du fait de l’abondance des exonérations, la suppression de celle-ci serait prendre un grain de sable au bord de mer.
À y voir de près, il s’agit d’une exonération prévue par la plupart des codes miniers des États africains de succession française. En effet, le code minier des États comme le Libéria, Malawi, Namibie ne semble pas comporter de telle faveur. Les actions à mettre en œuvre afin de garantir plus d’efficacité au local content tiennent également à l’obligation générale de fixer des quotas.
L’obligation générale de fixer les quotas
À l’exception de certains États africains de tradition anglo-saxonne, il n’existe dans le droit positif des États africains francophones une obligation générale de fixer des quotas[33]. Par obligation générale de fixer des quotas, nous entendons une norme qui consacre le caractère obligatoire d’un pourcentage ou d’une proportion prédéfinie devant constituer le minimum de préférence nationale dans les projets miniers. Cette règle doit avoir un caractère impératif. Au fait, avec les règles impératives, on est non seulement tenu de les observer, mais aucune dérogation n’est permise. Ce qui n’est pas le cas avec les règles obligatoires, qui elles admettent des dérogations. Aussi, cette règle du quota doit évoluer dans le temps. Même si cela relève de l’ordre des idées, les éléments ci-après militent en ce sens.
Tout d’abord, il est prévu, dans le capital de la société minière, une prise de participation des États. Aussi, le caractère incontournable du local content implique qu’une telle exigence soit consacrée. Pour nous, un même seuil comme celui de la prise de participation de l’État, au départ, règlerait l’affaire[34]. Cependant, s’agissant de l’emploi, la loi doit obliger les sociétés minières à embaucher uniquement les nationaux aux postes non qualifiés et 70% aux postes de managers, au début de l’activité minière. Ce nombre doit atteindre 95% au bout d’un délai de 5 ans. La question des quotas doit être également étendue à la sous-traitance. Les exemples nigérian et ghanéen sont, en la matière, révélateurs.
Le NigerianOil and GasIndustry Content DevelopmentAct prévoit pour chaque métier des exigences de 30% (pour la logistique marine ou le dédouanement des cargos, par exemple) à 100% d’emplois de Nigérians ou de sous-traitance aux entreprises locales. Au Ghana, par exemple, la loi minière oblige les investisseurs étrangers à ouvrir 30 % de leur capital à des entreprises du pays. Ne pas prévoir de telles exigences, c’est laisser libre court au législateur. C’est le cas du législateur malien qui prévoit que « le plan d’approvisionnement national n’impose aucune obligation dérogeant au libre choix des fournisseurs et sous-traitants »[35]. Autrement dit, au non du principe de la liberté contractuelle, une société minière malienne pourrait s’exempter des obligations du local content.
En définitive, le local content impose des obligations aussi aux États qu’aux sociétés minières. De manière générale, même si des zones d’ombre subsistent, ce qui frappe au terme de ce tour d’horizon, c’est la relative célérité avec laquelle le dispositif a atteint son rythme de croisière. Il revient aux États de mettre en œuvre toute la politique du local content. Pour ce faire, ils doivent avoir d’excellent programme de reporting. Toutefois, pour garantir un minimum de respectabilité, il faut que le non respect du local content soit assorti de sanction, car de la plupart des textes régissant le local content, le constat s’impose qu’ils contiennent des dispositions qui énoncent des principes non contraignants.
Dr .Adjaffi Allou Elvis
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