La sensibilisation collective progressive aux questions écologiques et aux problématiques environnementales, ainsi que les méfaits de la logique forestière productiviste développée au cours du XXe siècle, ont largement contribué à la prise de conscience de la fonction environnementale des massifs forestiers. Il est vite apparu que la forêt était un écosystème fragile qu’il fallait protéger. En effet, les forêts couvrent 30 % de la superficie terrestre de la planète. Elles accueillent plus de la moitié de la diversité biologique[1] mondiale et jouent un rôle essentiel dans la régulation du système climatique mondial. Selon le dictionnaire du développement durable, la forêt est une ressource naturelle renouvelable, caractérisée par sa multifonctionnalité, et qui offre de nombreux services environnementaux. Elle constitue une source importante d’oxygène ce qui lui permet de purifier l’air et réguler ainsi le carbone, expliquant l’impact de la régression du couvert forestier sur le climat. Aussi bien pour le climat que pour la biodiversité, la protection des intérêts environnementaux qu’offre la forêt est primordiale et doit être garantie par le droit positif.
Le constat de l’évolution de la logique forestière du productivisme aux forêts durables est le même en Côte d’Ivoire comme au Canada par exemple. Après avoir considéré pendant des décennies les forêts comme une source inépuisable de matière première au service d’une filière bois très puissante, le pouvoir fédéral canadien change de cap. La nouvelle politique forestière est centrée sur une approche durable depuis 1992. Cette approche se matérialise par la signature en 1998, du premier Accord canadien sur les forêts[2]. De nos jours, l’intégration des principes du développement durable dans les législations forestières continue de transformer de manière importante les approches de gestion et les usages des forêts à travers le pays. Au Québec, c’est la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier de 2010 qui reflète ce changement de paradigme important dans le droit des forêts.
Quant à la Côte d’Ivoire, elle est l’un des principaux États forestiers d’Afrique de l’Ouest. Avec un couvert forestier de 21 millions d’hectares au lendemain de l’indépendance, la Côte d’Ivoire avait pour 3ème produit d’exportation après le cacao et le café, le bois. 50 ans après, les ressources ligneuses, estimées à moins de 2 millions d’hectares, sont de plus en plus insuffisants.
La Côte d’Ivoire a l’un des taux de déforestation et de dégradation des forêts le plus élevé en Afrique de l’Ouest[3]. Comme presque tous les pays africains, l’État ivoirien entreprend des réformes législatives en vue de se doter d’un cadre juridique relatif à la gestion des ressources forestières. En mars 1995, le gouvernement définit une Stratégie nationale et décide le lancement du Programme Cadre de Gestion des Aires Protégées (PARC-CI). Cette stratégie a été adoptée en mars 1996. La même année, le pays a démarré son plan d’action environnemental dans un contexte favorable marqué par l’organisation de la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement (Rio de Janeiro, Brésil 3-4 juin 1992).
Le processus préparatoire de ce plan dénommé Plan National d’Action pour Environnement de Côte d’Ivoire (PNAE-CI) a vu l’élaboration d’un « livre blanc de l’environnement» qui propose une stratégie de protection de l’environnement, et l’adoption de la Loi n°96-766 du 3 octobre 1996 portant Code de l’Environnement. En signant la déclaration finale de Rio, la Côte d’Ivoire confirme son adhésion aux principes et aux objectifs du développement durable auxquelles se rattachent des Conventions internationales, entre autres la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC), la Convention sur la Diversité Biologique (CDB).
Par ailleurs, la Loi n°2002-102 du 11 février 2002 relative à la création, la gestion et au financement des parcs nationaux et des réserves naturelles vient renforcer le dispositif juridique sur les aires protégées, qui sont principalement forestières en Côte d’Ivoire. Elle est accompagnée de la Stratégie nationale de conservation et d’utilisation durable de la diversité biologique de la Côte d’Ivoire, pour la période allant de 2002 à 2010. Toutefois, en dépit de ces efforts soutenus, plusieurs forêts appartenant au domaine forestier de l’État, à savoir les aires protégées (Parcs et réserves), et les forêts classées ont été mises à la disposition des populations pour la pratique de l’agriculture. Les autorisations données par l’Administration dans ces cas l’ont été, bien souvent, à la suite d’occupations anarchiques de ces forêts par les populations à des fins agricoles. Il faut dire que la crise politique et militaire qu’a traversé le pays depuis le début de cette décennie n’a pas favorisé le respect de la législation forestière. Au regard de ces insuffisances et dans une quête de solutions, le gouvernement ivoirien s’est lancé depuis 2002 jusqu’à aujourd’hui dans une kyrielle d’initiatives, de programmes, de politiques et de réformes juridiques, destinés à renforcer le cadre de protection de ses forêts, et à stopper la perte de cette ressource en voie de disparition.
Parmi les plus importantes pour les forêts, on note l’engagement de la Côte d’Ivoire en 2011 dans le mécanisme de Réduction des Émissions de gaz à effet de serre issues de la Déforestation et à la Dégradation des forêts (REDD+) ; et en 2013 dans le Plan d’Action pour l’Application des Réglementations Forestières, Gouvernance et Échanges Commerciaux (FLEGT en anglais), pour mettre fin à l’exploitation illégale du bois et au commerce, initié par l’Union Européenne (UE). Un élément important du Plan d’Action FLEGT est le développement d’Accords de Partenariat Volontaires (APV), ayant pour objectif de vérifier que les bois importés depuis les pays partenaires sont récoltés conformément à leur législation.
La Loi d’orientation sur le développement durable et la Loi d’orientation agricole , le Plan d’Investissement Forestier (PIF Côte d’Ivoire) de 2016, la Stratégie et le Plan d’action pour la diversité biologique nationale de 2016-2020, la Politique nationale de préservation, réhabilitation et d’extension des forêts de 2018, l’initiative Cacao et Forêts ou encore le nouveau Code forestier de 2019, sont autant d’indicateurs de la recherche e de solutions entreprise par le gouvernement ivoirien.
L’analyse ou le bilan de tout ceci nous permet de tirer plusieurs conclusions. D’abord l’insuffisance de textes juridiques en matière de gestion des ressources forestières qui se manifeste principalement par l’absence de textes d’application du Code Forestier. Ensuite, le chevauchement des textes applicables aux forêts rend difficile leur protection (contradiction de la Loi forestière avec la Loi agricole, la Loi du foncier rural, la Loi minière etc.). Enfin la faiblesse du droit, des institutions et même du financement en rapport avec les forêts. Pour preuve, le Plan national de reboisement élaboré depuis 2003 n’est toujours pas mis en œuvre faute de financement. Ce n’est qu’en 2019 que la Côte d’Ivoire a lancé son deuxième projet d’inventaire forestier, le premier datait de 1978.
La forêt ivoirienne semble vouée à disparaitre. Tout n’est cependant pas perdu. Des avancées notables en matière de gestion durable des forêts ont été faites depuis la Loi forestière de 1965. L’on est passé de la vision productiviste à la vision écologique des forêts, orientée vers l’objectif de développement durable. Le droit forestier s’est préoccupé de la meilleure façon de protéger cet environnement si riche mais si fragile. Plus concrètement en Côte d’Ivoire, l’État n’est plus le seul gestionnaire de la forêt, la possibilité est offerte aux personnes privées et aux personnes de droit public de créer leurs propres forêts ; l’arbre appartient désormais au propriétaire de la parcelle, ce qui ouvre la voie au développement de l’agroforesterie ; de nouvelles notions comme la certification forestière et l’arbre hors forêt prennent place dans la législation forestière, ainsi que l’aménagement durable. Enfin, le rapport de Global Forest Watch pour l’année 2019 affirme que « Le Ghana et la Côte d’Ivoire ont tous les deux réduit leur perte de forêts primaires de plus de 50% par rapport à l’année précédente »[4].
La protection de la forêt est également une question d’ordre socio-culturel.
Par Marie-Inès KILI –COULIBALY
[1]La biodiversité, ou diversité biologique, est la variabilité de tous les organismes vivants, y compris des écosystèmes terrestres marins et aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie.
[2]Paule Halley, Que nous apprend l’évolution du système juridique canadien encadrant la forêt au Canada sur la gouvernance des ressources naturelles et leur mise en valeur ? Chaire de Recherche du Canada en droit de l’environnement, 2016.
[3]REDD+ Côte d’Ivoire, Évaluation environnementale et sociale stratégique (EESS) de la stratégie nationale REDD+ de Côte d’Ivoire, ministère de l’Environnement et du développement durable, 2018.
[4][4] Mikaela Weisse et Liz Goldman, « Nous avons perdu un terrain de football de forêt tropicale primaire toutes les 6 secondes en 2019 » (2020), en ligne : Global Forest Watch Blog <https://blog.globalforestwatch.org/fr/data-and-research/donnees-mondiales-sur-la-perte-de-couvert-arbore-2019/>.
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