Autrefois, classée parmi les pays pauvres en ressources minières du fait de l’insuffisance de l’exploration, la Côte d’Ivoire est aujourd’hui considérée comme un pays minier prometteur. En effet, la découverte et l’ouverture de nombreuses mines depuis quelques années est une opportunité pour le pays de diversifier son économie. Toutefois, cette « mine d’or » n’est pas sans conséquence en termes d’externalités négatives (corruption, violation des droits de l’Homme et de dégradation de
l’environnement). Pour échapper donc à la « Malédiction des ressources », une pathologie qui touche les pays riches en ressources minérales, la Côte d’Ivoire doit pouvoir transcender de grands défis notamment politiques, économiques, sociaux et environnementaux.
Défi politique
Dans l’objectif de diversification de son économie, la Côte d’Ivoire a adopté une politique minière avec l’adoption d’un nouveau code minier par la Loi n°2014-138 du 24 mars 2014 portant code minier. Bien que ce nouveau code minier ait été primé en 2014, il n’est pas exempt de critiques. L’objectif de la politique minière est de faire du secteur minier un
moteur de croissance économique majeur au regard de l’importance du potentiel géologique et minier de la Côte d’Ivoire. »
(http://mines.gouv.ci/?page_id=239).
La réalisation de cette vision devrait être soutenue par une politique institutionnelle cohérente, une politique de formation des ressources humaines. Le pays dispose de bonnes institutions pour soutenir la mise en œuvre de la politique minière mais se heurte au problème de coordination. Par exemple, la superposition dans l’attribution des fonctions et tâches des différentes institutions, l’instabilité à la tête des ministères de tutelle… peuvent constituer un sérieux handicap. Il faut toutefois saluer la récente fusion entre les Ministères des Mines et celui du pétrole et du gaz.
Cette fusion devrait permettre une politique plus cohérente en matière de gestion des ressources extractives. Par ailleurs relativement à la politique de formation des ressources humaines, si l’on peut constater une intention manifeste d’amélioration au niveau des ressources humaines techniques (ingénierie), il faut déplorer une pénurie de la formation juridique. Pour l’heure, il n’existe dans aucune institution de formation en Côte d’Ivoire, des formations de haut niveau sur la négociation, la rédaction, le contentieux et la gestion des contrats extractifs en général et des contrats miniers en particulier. Or tout le succès et la rentabilité d’un projet minier doivent être garantir par de « bons contrats » qui privilégient avant tout
l’intérêt général et donc l’intérêt du pays.
Pour terminer sur ce point, la récente adoption d’un Projet de loi sur le contenu local des activités pétrolières et gazières, dont l’objectif est de mettre en place un tissu industriel qui prend appui sur des entreprises et du personnel local, devra être étendu aux activités minières. Se faisant, la politique minière devra progressivement intégrer le développement
durable, la RSE/ESG, la transparence…dans le secteur minier ivoirien.
Défi socio-environnemental
Se positionner en tant que pays minier implique d’intensifier les activités d’exploration et d’exploitation minière sur le territoire. Ce qui constitue un problème pour la protection de l’environnement, et en particulier de la forêt. Les différentes prospections révèlent la présence de roche verte dans le domaine forestier national, à savoir le domaine forestier classé. Cette roche verte, précisément le birimien, indique la présence importante de minerais dans le sol qu’elle recouvre, notamment de l’or.
La Côte d’Ivoire possède 33% du birimien en Afrique de l’Ouest, dont 70% localisé dans les forêts classées. Le développement du secteur minier implique donc, la possibilité d’exploration du sol de ces forêts, et partant, de l’exploitation minière en forêt classée. Cette situation est problématique : l’exploration et l’exploitation du sol sont interdites en forêt classée, causant le rejet systématique de toute demande de permis de recherche, à l’intérieur de cette zone, ou la redéfinition du périmètre visé.
L’extraction minière est en effet une activité destructrice qui endommage l’écosystème de la forêt et cause des problèmes aux personnes vivant aux alentours et en aval des opérations minières. Ses conséquences sont entre autres, la pollution des
sols, des eaux et de l’atmosphère, la dégradation du couvert végétal et de la diversité biologique, la perte des champs agricoles et pâturages etc. Pourtant, la forêt ivoirienne connaît une dégradation très avancée (de 16,5 millions d’hectares en 1960 à
environ 4 millions d’hectares en 2016, soit moins de 13% du territoire national).
Pour faire face à cette situation, le gouvernement s’est engagé à restaurer six millions d’hectares de forêts, soit près de 20% du taux de couverture du territoire, dans la période 2020-2040 ; et ce, au travers de la nouvelle politique forestière. Comment préserver sa forêt, ressource naturelle précieuse pour l’équilibre écologique du pays, protéger l’environnement et l’épanouissement des populations, tout en développant son secteur minier?
De plus, la déforestation entraîne la violation de nombreux droits de l’Homme dont le droit à un environnement sain et le droit au développement. Elle constitue en vérité, une source de revenus importante pour les communautés locales, un
espace sacré et un lieu d’expression culturel (rites, initiation, etc). La détruire est par conséquent source d’appauvrissement pour les populations et même pour l’État ivoirien. Il conviendra donc à l’État ainsi qu’aux acteurs du minier, de penser le développement intégré de ce secteur, en corrélation avec les problématiques connexes de la protection de l’environnement et du respect des droits humains.
Défi économique
Nous nous attarderons sur l’épineuse question de la fiscalité minière et la complexe question des prix de transferts des sociétés minières. Une analyse économique du droit du nouveau code minier de 2014 permet d’affirmer qu’à l’instar des autres pays miniers africains, la part belle a été faite aux investisseurs étrangers. De ce constat, il découle que la production minière est essentiellement contrôlée par de grands groupes multinationaux, capables non seulement de supporter les investissements importants nécessaires, mais également d’influencer le cours des minerais exploités. Les belles performances en matière de fiscalité minière depuis l’adoption du nouveau Code ne devraient pas cependant occulter les faveurs
dont bénéficient les sociétés minières.
De 1997 (71,45%) à 2005 (71,45%), les revenus miniers de la Côte d’ivoire ont été stables, et ont connu une baisse de
2006 (67,35%) jusqu’à 2013 (66, 14%). À partir de 2014, les revenus ont connu une hausse spectaculaire jusqu’à atteindre 89.5%. En 2015 (89,51%) et en 2016 (89,51%), les revenus se sont stabilisés avant de connaître une autre chute vertigineuse en 2017 (68,87%). 2018 et 2019 ont connu une hausse avec 80,02¨%2.(Les données de la Côte d’Ivoire proviennent du site : https://fiscalite-miniere.ferdi.fr/ 2 )
Quant aux faveurs fiscales des sociétés minières en Côte d’Ivoire, elles sont nombreuses et concernent aussi bien la phase d’exploration que la phase d’exploitation, avec des exonérations sur la taxe sur la valeur ajoutée (article 355-23 du Code Général des Impôts; article 165 et suivant du Code minier), l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux (article 5 du CGI), la contribution sur les salaires des employeurs (134-3 du CGI), la contribution des patentes (article 280-7 du CGI).
Par ailleurs, le Code Minier prévoit des exonérations sur d’autres taxes et droits notamment, la Taxe Spéciale d’Équipement
(TSE), la taxe d’exploitation pour le prélèvement d’eau dans les nappes aquifères, des droits d’enregistrement sur les apports effectués lors de la constitution ou de l’augmentation du capital des sociétés, la réduction de moitié des taux de l’impôt sur les intérêts des revenus des créances (IRC).
En outre, conformément aux dispositions de l’article 171 du Code minier, les titulaires d’autorisation d’exploitation de carrières bénéficient des avantages du Code des Investissements. La part qui revient à la Côte d’Ivoire au terme de
la recherche et de l’exploitation des ressources minérales est donc minime. Des réformes s’imposent! Pire, la faiblesse de l’administration fiscale au niveau du contrôle facilite l’évasion fiscale. Ce constat est d’autant plus exacerbé qu’il n’existe pas en Côte d’Ivoire ni au niveau l’OHADA, une législation relative au groupe de sociétés. Par le mécanisme des prix de transferts, les sociétés minières – organisées en groupe ou réseaux – qui ont leurs filiales en Côte d’Ivoire transfèrent leurs bénéfices aux sociétés mères, résidant le plus souvent dans des paradis fiscaux. Se faisant, elles payent moins d’impôts selon le principe de la non double imposition. Les données de la Côte d’Ivoire proviennent du site :
https://fiscalite-miniere.ferdi.fr/ 2
Finalement, la Côte d’Ivoire si elle veut tirer le meilleur de son secteur minier doit sans délai renforcer son administration fiscale, et légiférer en matière de prix de transferts des groupes de sociétés.
PAR : Soro Coulibaly ( Doctorant en Droit Économique ) et Marie-Inès Kili (Chercheur au centre d’étude en droit économique )
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