Christine Logbo-Kossi :« Nous ambitionnons de voir un secteur minier africain , durable »

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Energia-africa octobre 15, 2021
Updated 2021/10/15 at 9:07 AM

Titulaire d’un master en coopération et solidarité internationale et d’un master en gestion d’entreprise, respectivement obtenus à l’Université d’Evry et à l’ESSEC en France. Formée à la communication, aux relations publiques, à la coopération internationale…, elle fait ses premiers pas dans le secteur minier en tant que secrétaire exécutive du Groupement professionnel des Miniers de Côte d’Ivoire (GPMCI) en 2011. En 2014, elle devient Directrice Exécutive du GPMCI. En Décembre 2018, elle est nommée parmi les 100 femmes les plus inspirantes au monde du secteur minier.

 

Energia Africa : Aujourd’hui vous êtes l’une des femmes les plus incontournables du secteur minier en Côte d’Ivoire, comment êtes-vous arrivée à vous imposer dans un segment dominé par les hommes ?

Christine Logbo-Kossi : C’est à force de travail, de discipline et d’engagement je dirais. Je crois fortement en la rigueur et la recherche de résultats dans le travail à accomplir, ce qui permet à tout être humain, sans distinction de genre, d’exister et d’évoluer dans le monde professionnel. Il faut viser la perfection, de ce fait, à défaut de l’atteindre, on devient au moins excellent.

Je suis arrivée dans le secteur sans aucune connaissance dans les (et des) mines. J’ai débuté au bas de l’échelle, j’ai appris auprès des pratiquants/ sachants, je suis repartie à l’école pour actualiser mes connaissances et aptitudes professionnelles comme humaines.

A mes débuts, et je ne suis pas la plus âgée du secteur minier ivoirien (rires), il y avait très peu de femmes, et encore moins des femmes qui avaient une voix audible. Aujourd’hui, la situation a évolué … le dernier fait marquant : une association d’hommes dirigeants d’entreprises minières a vu le jour pour promouvoir la présence et la compétence des femmes. C’est dire que l’addition « travail, rigueur et engagement » réussit « à tous les coups », et ce, pour le bénéfice des jeunes femmes également.

 

Energia Africa : Pensez-vous que l’industrie extractive peut avoir un impact sur l’autonomisation de la femme ?

Oui bien sûr. Si bien entendu, toutes les parties prenantes décident de lui reconnaître sa capacité et sa capabilité.

Exemples mais non limitatif:

  • Dans les compagnies minières elles-mêmes, on peut augmenter le taux de présence féminine en promouvant des mécanismes d’attrait et de maintien des femmes, surtout pour celles qui travaillent sur les sites. Un complexe minier est un environnement de travail et de vie difficile aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Ces dernières ont en plus la double pression, sociale et biologique, ce qui fait que la majorité d’entre elles y refuse un emploi ou démissionne en cours de parcours.
  • Les jeunes filles doivent avoir plus de rôles modèles, d’exemples ou mentor féminins, pour décider de choisir et poursuivre une carrière dans les mines;
  • Les femmes vivant dans les communautés hôtes des projets miniers doivent s’organiser davantage dans des groupes de solidarité pour mutualiser leurs besoins auprès de la mine;
  • Enfin, le législateur lui-même doit faire appliquer son adhésion au principe de l’égalité des chances, notamment dans le secteur minier, en le consacrant clairement dans le prochain code minier.

 

Selon les estimations, les femmes occupent moins de 10% des emplois dans les grandes entreprises du secteur minier, pourquoi est il important de maintenir la parité dans l’industrie extractive ?

Je dirais rechercher ou promouvoir l’égalité de chances au lieu de parité, car le secteur minier reste une activité économique où les promoteurs recherchent dans un premier temps des ressources humaines disponibles et compétentes, capables d’atteindre les objectifs économiques et sociaux fixés. Avec des collègues, nous militons donc aussi bien pour une plus grande visibilité de la présence (que celles qui y sont, quel que soit leur niveau, acceptent de partager leur quotidien professionnel) ainsi que leur compétence (je suis une femme, je suis dans les mines, aucun poste ne m’est impossible).

Je me félicitais tantôt de l’existence de l’association HeForShe Mines, mais le véritable défi est d’arriver à avoir davantage de femmes émancipées dans les mines. Idem dans les communautés. Si davantage de projets communautaires tiennent compte des besoins des femmes, les activités des entreprises minières s’en ressentiront positivement. Car les compagnies gagneraient davantage la confiance et l’attachement des femmes, et par ricochet l’ensemble des communautés hôtes. Ne dit-on pas qu’investir sur une femme, c’est investir pour une nation ?!

D’ailleurs, selon les travaux de recherche menés par le cabinet international de stratégie et de management, McKinsey, en 2019, sur un échantillon de plus de 1 000 entreprises, celles qui appliquaient la promotion de l’égalité de chances voire de la parité dans ses effectifs, avaient un rendement financier plus élevé que leurs homologues.

 

Depuis quelques années vous vous êtes donnée comme mission : résoudre le problème de la représentativité des femmes au sein des entreprises minières en Côte d’Ivoire et en Afrique. Quelles sont les actions que vous avez entreprises?

Notre première action a consisté à identifier et faire fédérer toutes les femmes actives du secteur minier au sein d’un réseau en Côte d’Ivoire, dénommé le réseau des Femmes du secteur minier de Côte d’Ivoire (FEMICI). Nous comptons aujourd’hui près de 4500 femmes réparties entre quatre profils :

  • Les femmes professionnelles (employées d’une mine ou un sous-traitant minier),
  • Les femmes entrepreneures (dirigeante d’entreprise minière ou gérante d’une compagnie de sous-traitance),
  • Les groupes de femmes vivants dans les communautés minières incluant celles qui font de l’artisanat minier, et les nouvelles diplômées en mines et géologie.

Cette base de données est régulièrement actualisée de sorte à mesurer l’évolution des femmes, mission première que nous nous sommes assignées en mettant en place ce réseau.

Le même exercice a été repris au niveau régional, où il existe un réseau ouest africain (Women in Mining of West Africa-WIMOWA) depuis 2016, et un au niveau continental (Association of Women In Mining In Africa-AWIMA).

 

Avec le FEMICI, nous avons initié plusieurs actions dont les plus connues sont:

  • L’organisation de séances de sensibilisation dans les lycées de jeunes filles et universités pour promouvoir les opportunités de l’industrie minière;
  • La réalisation de plusieurs projets et plaidoyers visant la prise en compte des femmes dans le secteur minier ;
  • La diffusion de plaidoyers pour la mise en place de dispositions (politiques et règlementaires) favorables à la prise en compte des femmes dans le secteur minier ;
  • La tenue annuelle d’un événement grand public, dénommée Journées du leadership féminin dans le secteur minier ;
  • L’organisation d’un événement interne dénommée Caravane Mine Rose pour la sensibilisation contre les cancers féminins, le harcèlement au travail et les maladies endémiques.

Aujourd’hui, les femmes représentent 8,76% contre 1,44% en 2011 de la main d’œuvre globale du secteur minier ivoirien. La situation progresse mais les chiffres sont encore faibles, et ce, même si la tendance mondiale tourne autour de 13-15%.

Enfin, nous travaillons avec plusieurs partenaires techniques et financiers sur différents projets à fort impact économique et social pour une meilleure redistribution des revenus issus de l’industrie extractive, notamment en tenant compte des femmes et des populations vulnérables.

 

Ces dernières années, l’industrie minière ivoirienne a connu une montée spectaculaire, peut-on dire que les femmes ont contribué à faire grimper ses chiffres ?

Je pense que oui. Regardons uniquement l’évolution au niveau de l’employabilité : pour une industrie qui comptait à peine 400 femmes en 2015, en dénombre plus de 2000 en 2020. Ceci est la preuve de la contribution des femmes, dont de plus en plus sont nommées à des hauts postes de responsabilité.

 

Quelles sont vos ambitions pour le secteur minier africain ?

Nous ambitionnons de voir un secteur minier africain, durable, plus performant et surtout plus inclusif. Un secteur minier qui capitalise sur les compétences locales et qui attire également d’investisseurs issus du Continent, (ou de la Côte d’Ivoire) ainsi que l’intensification ou l’accélération de mise en place de politiques d’attraction de la ressource humaine qualifiée.

 

Femme active, mariée et mère de deux enfants, vous êtes à la fois directrice générale du Groupement Professionnel des Miniers de Côte d’Ivoire (GPMCI), présidente du réseau des femmes minières de Côte d’Ivoire (FEMICI), trésorière du Women in Mining of West Africa (WIMOWA) et vice-présidente de l’Association of Women in Mining in Africa (AWIMA), quels conseils pourriez-vous donner à toutes ces femmes qui aspirent à devenir comme vous ?

Tout ça pour une seule personne, whaoo! Il faut que je partage (rires)!

Plus sérieusement, les titres ne nous définissent pas ou décrivent pas. Je suis active bénévolement dans ces plateformes, à l’exception de mon poste de directrice pour lequel je suis rémunérée, parce que je souhaite voir briller davantage de femmes dynamiques et compétentes. J’invite toutes les femmes à bien faire ce qu’elles ont à faire, que ce soit à leur poste d’employé, d’entrepreneur ou de bénévole, pour contribuer à l’effort collectif d’épanouissement et de développement de notre société.

Au risque de me répéter, je crois fortement aux valeurs du travail, de l’organisation, de la discipline et surtout du partage. Et je pense que nous, les femmes, améliorerons plusieurs de nos conditions si nous sommes davantage instruites, professionnelles et solidaires.

Pour finir, si je peux me permettre un conseil: «Quel que soit le domaine que vous choisissez, ne trichez pas, travaillez, soyez structuré (e ) et cohérent (e ) avec vos objectifs de sorte à faire valoir vos compétences et aptitudes humaines au moment opportun. Les gens peuvent ne pas vous aimer, mais ils vous respecteront pour votre travail. Votre genre «féminin» n’en sera alors que secondaire.

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